Le secteur aérien au coeur du débat climatique
Si le transport aérien était un pays, il serait le 7e plus gros émetteur de gaz à effet de serre au monde. Il est à l’origine de 3% des émissions mondiales de CO2 en 2018, mais 5% du réchauffement climatique quand on intègre les effets hors CO2. Parmi eux, les fameuses traînées blanches que l’on voit derrière les avions – formées par condensation lorsque les gaz chauds et humides des moteurs d’avion rencontrent l’air très froid en altitude – ne sont pas sans conséquence. Elles piègent la chaleur émise par la Terre plus qu’elles ne renvoient de lumière solaire. On appelle cela un forçage radiatif positif : cela revient à ajouter une épaisseur de couverture autour de la planète, qui l’empêche de se refroidir correctement.
Et cette empreinte carbone ne cesse de croître. En 20 ans, les émissions de CO2 du transport aérien ont plus que doublé, essentiellement en raison de l’augmentation du trafic aérien, qui progresse en moyenne de 5 % par an (The Shift Project). Un seul aller-retour Paris–Pointe-à-Pitre émet environ 2 tonnes de CO₂e par personne, soit l’équivalent de l’empreinte carbone annuelle individuelle à ne pas dépasser pour rester sous la barre des +1,5°C de réchauffement.
Au-delà de son impact, c’est aussi l’inégalité d’usage de l’avion qui alimente le débat. Selon une étude parue dans Atmospheric environment, seule 11 % de la population mondiale a pris l’avion en 2018. Autre chiffre marquant, 50% des déplacements en avion sont effectués par les 1% dont les revenus sont les plus élevés. (The Shift Project). En d’autres termes, 1% de la population mondiale est responsable de la moitié des émissions du secteur.
Des solutions technologiques insuffisantes
Si certains misent sur l’innovation technologique pour réduire l’empreinte carbone de l’aviation, les solutions actuelles restent insuffisantes à court terme :
- Biocarburants : leur production à grande échelle reste insuffisante pour couvrir la demande mondiale en kérosène. De plus, l’empreinte environnementale de certains biocarburants pose question. (The Shift Project)
- Carburants synthétiques (e-fuels) : les procédés de production nécessitent des quantités d’électricité énormes, souvent non renouvelables, et leur coût reste prohibitif (ISAE-SUPAERO).
- Hydrogène : le stockage de l’hydrogène liquide nécessite des réservoirs volumineux et cryogéniques, rendant cette technologie difficile à appliquer aux vols long-courriers (ISAE-SUPAERO, ADEME).
- Aviation électrique : les technologies actuelles ne concernent que de petits appareils pour de courtes distances. Les batteries actuelles sont trop lourdes pour alimenter des avions commerciaux long-courriers (The Shift Project).
Qu’en est-il de l’amélioration de l’efficacité énergétique ? Selon Sacchi & al. (2023), l’efficacité énergétique des avions s’est améliorée de 2 % par an au cours des deux dernières décennies. Pour autant, cette amélioration ne permet pas une réduction nette des émissions de CO2, qui continuent d’augmenter en raison d’une hausse de 4 % par an de la demande.
Les solutions et améliorations technologiques, bien que nécessaires, ne permettent pas de respecter nos objectifs climatiques et sa contrainte temporelle.
La réduction du trafic, une mesure incontournable
Face au constat de l’insuffisance des solutions techniques pour contrebalancer la croissance des émissions, de récentes études s’accordent sur la nécessité de réduire le trafic global. (ADEME, The Shift Project, ISAE-SUPAERO)
En effet, dans son étude “Pouvoir voler en 2050” parue en 2021, The Shift Project a étudié plusieurs scénarios et ses conséquences sur le climat. En poursuivant la croissance actuelle du trafic, même un scénario optimiste – en termes de décarbonation par la technologie – ne respecte pas le budget carbone permettant de contenir le réchauffement climatique à +2°C.
Face à l’urgence climatique, limiter le trafic aérien est indispensable.
Pour cela, il est nécessaire de diminuer la demande. En 2018, trois quarts des vols sont liés à un usage personnel. Plusieurs mesures simples et de bon sens pourraient et devraient être mises en œuvre dès maintenant. Cela inclut la suppression des programmes de fidélité et des miles qui incitent à surconsommer les vols, l’interdiction de la publicité pour l’avion, l’interdiction des jets privés, l’instauration d’une taxe sur le kérosène, une responsabilisation accrue des comités sociaux et économiques (CSE) dans le choix de leurs modes de déplacement, etc.
Cela resterait toutefois insuffisant. Une proposition de loi visant à instaurer un quota carbone individuel pour limiter l’usage de l’avion a été déposée en juin 2020. Jugée plus juste et égalitaire qu’un système de taxe, ce choix politique controversé n’a pas été implémenté mais permet d’ouvrir le débat sur la décroissance du trafic.
Ce qu’il faut retenir
Le poids du secteur aérien dans les émissions mondiales de GES va s’accroître si rien n’est fait pour le limiter. Si l’innovation technologique est nécessaire, elle ne suffira pas à elle seule à enrayer la trajectoire actuelle des émissions.
Réduire le trafic est actuellement une nécessité. Le premier pas consiste à repenser la place que nous accordons à l’avion dans nos modes de vie. Cela suppose de sortir de la logique de surconsommation, de mettre fin aux incitations qui encouragent les voyages superflus, et de replacer l’aviation dans une perspective de sobriété choisie et de justice sociale.
Il ne tient qu’à nous, citoyens, entreprises, institutions, politiques, de faire les choix courageux qui permettront de voler moins, pour un avenir compatible avec les limites de notre planète.

Sources :
TheShiftPrject, 2021, Pouvoir voler en 2050 : quelle aviation dans un monde contraint ?
ISAE-SUPAERO, 2021, Référentiel Aviation et Climat
MINISTÈRE DE LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE, 2023, LES ÉMISSIONS GAZEUSES liées au trafic aérien en France en 2021
Réseau Action Climat, 2021, CINQ MYTHES SUR LE RÔLE DU TRANSPORT AÉRIEN DANS LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES
BonPote, 2024, 10 chiffres à connaître sur l’avion et le climat
ADEME, 2022, 3 scénarios pour décarboner le transport aérien
Réseau Action Climat, 2024, Comment réduire le trafic aérien de manière juste et efficace ?
BonPote, 2024, Famille, conjoint… doit-on faire une exception pour prendre l’avion ?